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FINANCEMENT 11 septembre 2025

Quel avenir pour le financement des ASBL en FWB ? Degryse dévoile sa feuille de route

Budgets sous pression, subsides en recul : les ASBL s’inquiètent. La Fédération Wallonie-Bruxelles a déjà supprimé ou reporté plusieurs appels à projets ou subsides. Le secteur redoute désormais les prochaines coupes... Pour y voir plus clair, MonASBL.be a rencontré la ministre-présidente Élisabeth Degryse, détentrice d’un portefeuille explosif : le budget. Elle a répondu aux inquiétudes du terrain et dévoilé ses orientations politiques pour l’avenir des ASBL : transparence dans l’attribution des subsides, conventions pluriannuelles, simplification administrative... Des projets ambitieux, mais qui restent pour l’instant au stade d’annonce. Reste à voir leur concrétisation dans un contexte budgétaire des plus tendus.

Élisabeth Degryse n’aborde pas le monde associatif en étrangère. Avant de prendre les rênes de la Fédération Wallonie-Bruxelles, en charge notamment de la Culture, de l'Education permanente et de l'Enseignement supérieur, elle a consacré plus de dix ans au secteur mutualiste, en gardant toujours un pied dans la réalité de terrain. Cette proximité revendiquée, elle la met aujourd’hui au service d’un portefeuille particulièrement sensible : le budget.

C’est désormais à elle qu’il revient de définir les règles du financement public, dans un climat où chaque euro compte et où les choix opérés pèseront directement sur l’avenir des ASBL. Dans ce contexte, MonASBL.be a voulu confronter directement la ministre-présidente aux attentes et aux inquiétudes du secteur que nous côtoyons au quotidien. Pendant plus d’une heure, elle a accepté de répondre à nos questions.

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« L’un des enjeux majeurs pour moi, c’est la simplification administrative »

MonASBL.be : Vous avez passé plus de dix ans dans le secteur mutualiste, au cœur de l’économie sociale et du secteur de la santé. Qu’est-ce que cette expérience vous a appris du terrain associatif, et comment influence-t-elle aujourd’hui vos choix politiques ?

Élisabeth Degryse : J’ai derrière moi douze années passées au plus près du terrain. Même en occupant un poste à responsabilité à la mutualité, je tenais à m’asseoir régulièrement aux côtés des conseillers mutualistes de première ligne pour rester en prise directe avec la réalité de leur quotidien. Et, à mon poste actuel, je continue sur cette lancée : chaque semaine, je réalise au minimum une visite de terrain, qu’il s’agisse de culture, d’enseignement supérieur ou d’éducation permanente. Pour moi, ce lien direct avec le quotidien reste essentiel.

Mon expérience m’a permis de développer un large réseau, que je continue aujourd’hui à renforcer à travers mes différentes compétences. Cela me permet de rester ancrée dans la réalité et d’éviter des décisions politiques déconnectées du terrain. Toute l’équipe du cabinet travaille d’ailleurs dans cette logique. Nous avons aussi des échanges informels avec certains contacts de terrain privilégiés lorsque nous voulons tester une idée. Cela permet de challenger nos projets en direct et de vérifier rapidement si cela peut fonctionner ou non. C’est une autre façon de rester ancrée dans la réalité du terrain.

MonASBL.be : Si vous deviez rêver tout haut, à quoi ressembleraient dans dix ans les relations entre la Fédération Wallonie-Bruxelles et les ASBL ?

Élisabeth Degryse : L’un des enjeux majeurs pour moi, c’est la simplification administrative. Depuis cinq, voire huit ans, on assiste à une véritable explosion des contraintes à tous les niveaux de pouvoir. Je l’ai moi-même vécu à la mutualité — avec la TVA, les marchés publics ou encore le registre UBO — et je le constate encore davantage aujourd’hui dans les retours des secteurs. C’est pourquoi la simplification, inscrite dans notre déclaration de politique communautaire (DPC), est pour moi essentielle : c’est la clé pour renforcer la relation entre administration, politique et secteur associatif.

Mon ambition, derrière cette volonté de simplification, c’est que l’administration de la Fédération Wallonie-Bruxelles soit elle aussi davantage présente sur le terrain. Pour moi, l'administration doit jouer un rôle de facilitateur et le rôle de facilitateur, il ne fonctionne que si on est ancré et en contact avec le terrain. Je sais que c'est un peu un rêve, mais... Il faut rêver.

« Cela place les ASBL dans une insécurité permanente, obligées de réintroduire sans cesse des dossiers »

MonASBL.be : Parmi les pistes évoquées dans la déclaration de politique communautaire, il est notamment question de pérenniser les subsides, en passant d’un financement annuel à des conventions pluriannuelles ou quinquennales. Où en est ce chantier ? Et, surtout, comment seront déterminées les ASBL qui en bénéficieront ? Faut-il s’attendre à une sélection plus stricte, voire à une réduction des enveloppes disponibles ?

Élisabeth Degryse : Aujourd’hui, en Fédération Wallonie-Bruxelles, une partie des subsides est attribuée sur base de décrets, avec des cadres et des critères bien définis. À côté de cela, d’autres subsides passent par des appels à projets. Mais de nombreuses structures s’interrogent : le temps consacré à remplir ces dossiers est-il toujours justifié ? Ne pourrait-on pas envisager d’autres méthodes plus efficaces ?

Il existe aussi ce qu’on appelle les subsides facultatifs : moins encadrés et soumis à moins de contraintes, mais également moins stables et pérennes. Notre analyse a montré que, chaque année, certaines associations introduisaient des demandes pour 20.000, 100.000 voire 150.000 euros, parfois pour un projet ponctuel, parfois pour du fonctionnement structurel. Le constat est clair : entre les subsides décrétaux, soumis à des critères précis et à des contrôles administratifs, et ces subsides facultatifs, beaucoup plus souples, des ASBL d’un même secteur pouvaient se retrouver dans des situations très différentes. À mes yeux, cela place nombre de structures dans une insécurité permanente, obligées de réintroduire sans cesse des dossiers.

MonASBL.be : Votre réaction face à ces constats ?

Élisabeth Degryse : Nous avons posé deux principes. D’abord, comme les autres niveaux de pouvoir, nous devons réaliser des économies. Celles-ci ont déjà été engagées : en 2025, cinq millions d’euros ont été coupés dans le budget des subsides facultatifs.

Ensuite, nous voulons nous attaquer en profondeur au système des subsides facultatifs. L’idée est d’identifier les acteurs qui en dépendent chaque année pour leur fonctionnement et de les intégrer dans des conventions pluriannuelles, par exemple quinquennales, comme prévu dans la DPC. Dans certains cas, nous constatons que ces moyens correspondent en réalité à des dispositifs déjà décrétalisés : dans ce cas, l’objectif est de basculer le budget du facultatif vers le décrétal existant, afin que ces structures bénéficient enfin d’un cadre clair et stable.

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« Le facultatif doit rester un coup de pouce pour l’exceptionnel et l’innovation »

MonASBL.be : Ces subsides facultatifs, perçus comme des coups de pouce indispensables pour certaines associations, vont-ils s’éteindre purement et simplement ou trouver une nouvelle utilité ?

Élisabeth Degryse : Les subsides facultatifs continueront d’exister, mais leur rôle sera recentré sur des besoins ponctuels. Prenons l’exemple d’une ASBL reconnue par décret qui souhaite fêter ses 30 ans et sollicite un soutien unique de 5.000 euros : c’est typiquement le type de coup de pouce qui restera couvert par le facultatif.

MonASBL.be : Le système des subsides facultatifs avait fini par être détourné de son objectif initial.

Élisabeth Degryse : Exactement. Notre volonté est d’apporter davantage de transparence et d’équité, car le système tel qu’il existait générait de l’iniquité. Concrètement, cela passera soit par l’intégration de certains moyens dans des dispositifs décrétaux existants, soit par la mise en place de conventions quinquennales pour offrir de la prévisibilité, soit encore par le maintien d’un budget dédié à l’innovation et aux initiatives ponctuelles.

Car, au-delà des coups de pouce ponctuels, comme un anniversaire, il est essentiel de préserver aussi une place pour l’innovation. Ce dispositif servira donc aussi financer des projets pilotes ou des essais, avec l’idée de tester une initiative avant de décider éventuellement de la pérenniser. Le secteur associatif est souvent le premier à percevoir les évolutions de la société et les nouveaux besoins. Il doit donc pouvoir proposer des projets innovants et trouver un financement pour les lancer.  Je pense, par exemple, à ce projet culturel de mutualisation d’espaces de stockage, aujourd’hui porté par le théâtre National et déjà rejoint par des dizaines d’ASBL. C’est typiquement ce que j’appelle de l’innovation, et qui justifie un soutien ponctuel.

J’ajoute un point important : nous avons constaté que certaines structures allaient chercher du facultatif auprès de plusieurs ministres. Ce cumul posait problème. Notre volonté est donc de rétablir de la transparence et d’assurer une gestion partagée des subsides, afin de garantir une répartition plus claire et plus équitable des moyens.

MonASBL.be : En Wallonie, le ministre Yves Coppieters a indiqué que 50 % des ASBL bénéficiant de subsides facultatifs sont retenues pour intégrer le futur mécanisme pluriannuel. Pour l’autre moitié, rien n’est garanti : elles restent en balance et des choix devront être faits. En Fédération Wallonie-Bruxelles, faut-il s’attendre au même scénario ? Concrètement, comment allez-vous trancher entre les ASBL qui resteront dans le dispositif et celles qui en sortiront ?

Élisabeth Degryse : Nous travaillons actuellement à définir des critères objectifs, comme en Wallonie. L’idée est de disposer d’outils clairs, transparents et partagés, loin de critères officieux ou décidés en coulisses. Ce travail est en cours.

MonASBL.be : Que va-t-il advenir des ASBL qui ne rentreront dans aucune case ?

Élisabeth Degryse : Oui, certaines ASBL risquent de se retrouver dans les interstices. Notre objectif est de voir comment nous pourrons malgré tout les soutenir.

« L’enjeu, c’est de garantir de la prévisibilité et de simplifier les démarches, tout en préservant les politiques essentielles… »

MonASBL.be : Ces réformes s’inscrivent dans un climat budgétaire morose, avec déjà des annonces de reports ou de non-reconductions de subsides et d’appels à projets. Les ASBL s’inquiètent et veulent savoir à quelle sauce elles vont être mangées. Quelles associations vont garder leurs subsides… et lesquelles vont les perdre ?

Élisabeth Degryse : Je ne peux pas encore répondre en détail, car tout cela s’inscrit dans le travail de fond que nous menons pour le budget 2026. L’enjeu est de déterminer où les économies pourront ou ne pourront pas être faites, selon quels critères et en concertation avec les secteurs. Ce que je peux garantir, en revanche, c’est que nous veillerons à donner des informations claires et à assurer un maximum de prévisibilité, car c’est une demande forte du secteur. Si nous devons supprimer certains appels à projets, nous le dirons clairement. Si nous devons en fusionner, ce sera également annoncé. L’important est que tout reste lisible et prévisible à moyen et long terme, car nous savons à quel point la situation est compliquée pour les associations. L’enjeu est de préserver les politiques essentielles… mais dans un cadre budgétaire extrêmement contraint.

MonASBL.be : Existe-t-il des missions associatives considérées comme intouchables, des lignes rouges que vous vous engagez à ne pas franchir ?

Élisabeth Degryse : Oui, certaines politiques essentielles de la Fédération Wallonie-Bruxelles resteront intouchables. L’éducation permanente continuera à exister, tout comme le soutien aux structures culturelles. En revanche, la manière de gérer les budgets devra sans doute évoluer. Par exemple, un moratoire en éducation permanente n’est pas exclu : cela ne signifierait pas une coupe budgétaire, mais plutôt un gel de l’enveloppe pendant un, deux ou trois ans, comme cela a déjà été fait par le passé. Ce type de mesures est en réflexion, mais toujours avec l’objectif de préserver les missions essentielles.

MonASBL.be : Vous dites vouloir continuer à soutenir les ASBL, via des fonds publics, tout en plaidant pour davantage de mécénat privé. Concrètement, quel modèle de financement défendez-vous pour le secteur associatif ?

Élisabeth Degryse : Selon moi, il n’existe pas de modèle unique pour financer les ASBL, tant le secteur est diversifié. En revanche, je reste convaincue qu’un soutien public fort est indispensable : je défendrai toujours le financement de l’associatif par les pouvoirs publics. Un image : vous pouvez construire la plus belle usine du monde, avec toutes les ressources nécessaires, mais si vous n’avez pas autour une crèche, une école, un club de sport — toutes ces structures associatives qui font vivre un territoire —, personne ne viendra y travailler. C’est bien la preuve que le soutien public au secteur associatif est essentiel et doit rester une mission de l’autorité publique.

Cela n’empêche pas, que du contraire, de renforcer l’apport du secteur privé. Je pense que mécénat et financement public peuvent être complémentaires. Notre objectif est de renforcer ce soutien, et nous réfléchissons à la meilleure manière d’y parvenir. C’est une façon d’élargir et de consolider les leviers d’action du secteur associatif.

« On ne donnait pas trop, mais on donnait mal »

MonASBL.be : La Déclaration de politique communautaire promet de mettre fin à l’octroi jugé trop discrétionnaire de certains subsides, avec de nouvelles règles de transparence et de gouvernance dès 2025. En clair, fin du clientélisme ? Concrètement, quelles mesures allez-vous prendre et que doivent retenir les ASBL ?

Élisabeth Degryse : Prenons l’enveloppe Loterie Nationale. Cette année, en culture, 1,2 million d’euros sont à attribuer, pour des demandes qui atteignent 6 millions. Jusqu’à aujourd’hui, l’attribution de ces subsides se fait encore et toujours sans critère et sans transparence. Donc, c’est moi toute seule, qui choisit à qui je donne et donc inévitablement c’était et c’est encore (le temps qu’on travaille sur notre nouvelle manière de fonctionner) un petit peu à la tête du client.

Dans mon cabinet, nous avons déjà instauré des critères pour l’attribution de ce million d’euros. Par exemple, une structure qui bénéficie déjà d’un subside ailleurs n’est pas subsidiée via cette enveloppe, sauf exceptions ou situations particulières. Nous ne versons jamais non plus l’intégralité du montant demandé, mais toujours un peu moins, car nous savons que certaines requêtes peuvent être gonflées. Bref, nous avons établi une série de critères pour décider, alors que depuis des années ce travail se faisait uniquement dans les cabinets, sans clarté. Notre volonté est donc claire : instaurer enfin de la transparence.

Est-ce que cela signifiait qu’on donnait trop ? Non. Mais est-ce que cela voulait dire qu’on donnait mal ? Oui. Parce que, dans un tel système, celui qui crie le plus fort ou qui a le plus de contacts finit forcément par être avantagé. Quand on reçoit 6 millions d’euros de demandes pour une enveloppe d’à peine 1 million, cela montre bien l’importance d’avoir des critères clairs et précis.

Propos recueillis par Emilie Vleminckx

Rédactrice en chef

Pour aller plus loin, rendez-vous la semaine prochaine pour la suite de l’interview. Nous aborderons alors un focus particulier sur la situation des ASBL actives dans le secteur culturel, confrontées à des défis spécifiques.