Peu importe leur secteur d’activité – social, environnemental, économie circulaire, transition économique durable ou bien encore santé –, les ASBL bruxelloises sont aujourd’hui touchées de plein fouet par un immobilisme politique qui s’enlise. Plus d’un an après les élections régionales de 2024, la capitale est toujours sans gouvernement. Et sur le terrain, les conséquences sont bien réelles.
Projets gelés, budgets en suspens, licenciements, congés sans solde… Face à cette paralysie institutionnelle, les associations avancent à l’aveugle. À Saint-Josse, l’équipe de l’ASBL Fabrik a dû prendre un mois de congé sans solde pour tenir. Chez Groupe One, neuf collaborateurs ont perdu leur emploi, faute de visibilité financière. Du côté des Petits Riens, des dizaines de postes sont aujourd’hui menacés. Quant au Réseau IDée, qui regroupe plus de 150 associations d’éducation à l’environnement, il constate une vague de préavis dans plus d’une structure sur deux.
Afin de documenter ces réalités, MonASBL.be a lancé une série de témoignages vidéo diffusés tout au long de l’été sur ses réseaux sociaux (Instagram, Facebook et LinkedIn). Six questions posées à chaque association ou fédération, pour mettre en lumière les impacts de ce statu quo politique, les stratégies de survie mises en place, et les messages que le secteur souhaite adresser aux responsables politiques. Tour d’horizon de ces voix du terrain qui alertent, dénoncent, mais aussi inventent des manières de tenir bon.
Budgets gelés, projets à l’arrêt, emplois menacés : les associations bruxelloises face au vide institutionnel
Bruxeo : « Le secteur est rongé, mois après mois »
Première voix à s’élever, celle de Bruno Gérard, directeur de Bruxeo, la confédération des entreprises à profit social bruxelloises. Pour lui, l’absence de gouvernement régional provoque trois blocages majeurs : l’impossibilité de lancer de nouvelles politiques, l’incapacité à s’adapter aux réformes prises par d’autres niveaux de pouvoir comme la réforme de l’indexation initiée par le Fédéral et finalement l’absence d’un budget 2025 structurant.
« Il y a du chômage économique, des licenciements, du non-renouvellement de personnel… Et dans certains cas, des départs volontaires face à l’incertitude », alerte-t-il. « Les ASBL ont l’impression d’être rongées mois après mois. Elles doivent réfléchir à comment concrètement réagir face à ces difficultés de trésorerie. »
Face à ces tensions, certaines ASBL tentent d’obtenir des crédits bancaires, d’autres recourent à la solidarité inter-associative. Mais ces solutions, souligne-t-il, ne font que fragiliser encore davantage le secteur.
FedeAU : « Se tirer une balle dans le pied »
Après Bruxeo, c’est la Fédération bruxelloise des professionnel.le.s de l'Agriculture Urbaine (FedeAU) qui témoigne. Sa coordinatrice, Gaëtane Charlier, décrit un climat pesant où il devient presque impossible de se projeter : « Cette situation augmente la concurrence entre associations. On se retrouve à lutter pour survivre, là où on œuvrait ensemble. »
La fédération a récemment perdu une de ses deux employées, partie face à l’instabilité. Un exemple concret de l’érosion des talents et des moyens humains que subit le secteur. Malgré tout, la FedeAU tente de tenir grâce à la mutualisation et à l’entraide sectorielle.
Gaëtane Charlier rajoute : « Le climat d'entraide et de convivialité au sein des secteurs associatifs est vraiment la clé pour tenir le coup. En coupant les vivres au secteur qui se bat, qui porte et qui soutient les citoyens et les citoyennes au quotidien, c'est vraiment se tirer une balle dans le pied. La société tient le coup grâce à tous ces services, à toutes ces personnes qui œuvrent pour le bien social. »
Réseau IDée : « On a besoin d’un pilote dans l’avion ! »
Après l’agriculture urbaine, c’est au tour de l’éducation à l’environnement de tirer la sonnette d’alarme. Le Réseau IDée, qui rassemble 150 associations spécialisées en éducation à l’environnement, dont une trentaine à Bruxelles, a sondé ses membres bruxellois : déjà en mars, 60 % craignaient pour leur survie à court terme. Depuis, la situation s’est aggravée…
Ces structures sont confrontées à des :
- Subsides bloqués, retardés… ou supprimés
- Arrêt total des subsides pour de nouveaux projets
- Réductions budgétaires dans d’autres niveaux de pouvoir
Conséquences : licenciements et préavis massifs dans plus d’une ASBL sondée sur deux !
Christophe Dubois, directeur du réseau Idée, insiste : seule une vision budgétaire claire peut permettre de gérer les associations « de manière humaine ». Il conclut : « On a besoin de pouvoir anticiper c'est très compliqué étant donné qu'on nous souffle le chaud et le froid en permanence. On a besoin d'un pilote dans l'avion en fait. »
Groupe One : « Neuf personnes licenciées, faute de budget ! »
Le constat est le même du côté de Groupe One, active dans la transition économique durable.
Au sein de l’association, le manque de visibilité et de moyens a conduit à des mesures difficiles : chômage économique temporaire, réduction volontaire du temps de travail pour certains et, plus lourd encore, neuf licenciements. Marion De Backer, chargée de projet et responsable d’équipe depuis 5 ans et demi, en fait partie. « Sans gouvernement, on a moins de visibilité, moins de budget et de ce fait-là, on doit s’adapter », résume-t-elle.
Pour tenter de garder la tête hors de l’eau, la structure multiplie les réponses à des appels à projets afin d’assurer une rentrée financière. Mais cette stratégie a ses limites : la charge de travail liée à la rédaction de ces dossiers s’oppose à la diminution du temps disponible.
Dans cette période difficile, Marion De Backer encourage à coopérer, discuter, communiquer. Selon elle, le travail en réseau et le soutien mutuel sont essentiels pour traverser la tempête.
Les Petits Riens : « Des dizaines d’emplois menacés »
Chez Les Petits Riens, « l’absence de soutien met en péril la pérennité de nos activités. Ces risques génèrent inquiétude et angoisse chez nos collaborateurs, nos bénéficiaires, nos donateurs et nos clients », alerte Thierry Smets, directeur général.
Les conséquences se font sentir dans plusieurs projets. Certains, comme Syner’Santé, ne bénéficient d’aucun subside et doivent se tourner vers des financements privés. D’autres décisions restent bloquées, notamment dans le secteur de l’économie sociale autour de la collecte et du tri. « Il y a des dizaines d’emplois qui sont menacés », insiste Catherine Jadoul, directrice des actions sociales.
Pour tenir, l’ASBL s’appuie sur la générosité des donateurs, tente de réaliser des économies à tous les niveaux et surtout sur l’engagement de ses équipes.
Aux politiques, le message est sans détour : « Vous avez été élus pour faire un job et vous êtes payés pour ce job. Aujourd’hui, vous ne le faites pas. Assumez vos responsabilités, laissez tomber vos ego et travaillez, c’est tout ce qu’on vous demande », conclut Thierry.
Fabrik : « Un mois de congé sans solde pour survivre »
À Saint-Josse, l’ASBL Fabrik subit de plein fouet l’immobilisme politique : budgets sous pression, manque de liquidités, décisions qui n’arrivent pas. Pour tenir, l’équipe a dû faire des choix radicaux. « Nous avons finalement décidé de prendre un mois de congé sans solde dans l’année pour soulager les finances », raconte Jules Gardoni, travailleur de l’association.
Ces difficultés ne sont pas abstraites : elles touchent le personnel, les projets et tout le maillage social bruxellois. « Il y a des associations cruciales qui sont en train de mourir ou de s’épuiser. La casse sociale risque d’être énorme, avec des conséquences pour tous les Bruxellois », alerte-t-il.
Le message aux responsables politiques est clair : « Il faudrait débloquer leur sens des responsabilités et leur déconnexion vis-à-vis du quotidien des Bruxelloises et Bruxellois ». Quant au public de l'ASBL, il reste un appui précieux.
Mutualiser pour tenir : l’exemple de Dune et son atelier vélo
Enfin, l’ASBL Dune, active dans la réduction des risques liés aux usages de drogues en milieu précaire, mise sur la créativité pour continuer à agir. Charlotte Bonbled, directrice stratégique de la structure, met en avant Zélie, un atelier vélo qui forme des personnes éloignées de l’emploi au métier de mécanicien·ne. « Ces personnes retrouvent une activité porteuse de sens, et de réelles perspectives d’avenir », pointe-t-elle.
Mais le message reste sans ambiguïté : l’associatif ne peut pas continuer à subir l’immobilisme politique. « Le tissu associatif ne peut pas, ne peut plus à lui seul pallier à l’absence de gouvernance. »
De la parole aux actes : la mobilisation s’amplifie
Ces témoignages, venus de secteurs très différents, convergent vers un même constat : le tissu associatif bruxellois, déjà sous pression, se fragilise chaque jour davantage. Derrière les termes techniques de « douzièmes provisoires » et de « budgets bloqués », il y a des projets vitaux, des emplois menacés et, au bout de la chaîne, des citoyens privés de services essentiels.
Le ras-le-bol s’exprime désormais aussi dans la rue. Ce vendredi 5 septembre, une manifestation initiée par l’ASBL Espace 51, lieu d’accrochage social et de créativité culturelle, a défilé jusqu’au parlement bruxellois, portée par une sculpture de poulpe symbolisant les liens qui unissent citoyens et associations. Un geste à la fois festif et déterminé pour rappeler l’urgence d’agir. Et ce n’est qu’un début : d’autres actions coup de poing et symboliques, portées par le secteur associatif, sont déjà prévues dans les prochaines semaines.
De Bruxeo à Dune, de Fabrik aux Petits Riens, toutes ces voix rappellent une évidence : sans gouvernance et sans budget régional, c’est l’ensemble du tissu social qui menace de se déchirer.
Financements en baisse : les solutions concrètes de MonASBL
Chez MonASBL, nous voulons être le porte-voix du secteur associatif, en rendant visible son quotidien, ses combats et surtout ses besoins. Mais nous souhaitons aussi soutenir les ASBL autrement : en leur donnant un maximum de conseils pratiques et de pistes concrètes pour traverser cette période d’incertitude.
Plusieurs articles sont déjà disponibles pour accompagner les associations :
- Que faire lorsque les financements diminuent ? Des pistes pour éviter le licenciement.
- Trouver de l’argent autrement : miser sur l’autofinancement.
- Comment avancer un subside qui traine à arriver ?
- Sponsoring ou mécénat : deux voies à explorer quand les subsides manquent.
- Quand le licenciement devient inévitable… Les règles à respecter pour agir dans le cadre légal.
- Subsides en chute libre ? Repensez votre modèle économique
Et d’autres contenus suivront bientôt : nos experts proposeront des outils pour réaliser un diagnostic de la santé financière de son ASBL, ainsi qu’une foule de conseils pour aider les équipes à garder la tête hors de l’eau.