« Bruxelles va vivre un moment historique avec une précarisation soudaine : du jour au lendemain, la réforme du chômage va plonger plus de 40.000 personnes sans revenu vers les CPAS, les services sociaux et les distributions de colis alimentaires », alerte Céline Nieuwenhuys, secrétaire générale de la Fédération des services sociaux (FdSS). « C’est précisément au moment où on aurait besoin d’une vision et d’une coordination politique qu’il n’y a pas de gouvernement à Bruxelles. Cette absence de décision fragilise les ASBL sociales. »
Aujourd’hui, c’est l’incertitude qui domine : de nombreuses associations restent dans l’attente, sans réponse ni perspective claire pour 2026. Le silence politique plane sur tout le secteur. « Un impact direct ? De nombreuses ASBL sociales se retrouvent aujourd’hui dans une insécurité financière telle qu’elles pourraient ne plus être en mesure de payer leurs équipes dès le mois de janvier. Du coup, les travailleuses et travailleurs associatifs cherchent déjà à se sécuriser face à un marché de l’emploi saturé. Résultat : des démissions, des fermetures. »
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Les ASBL invitées à afficher publiquement leur fragilité
Dans ce contexte d’asphyxie progressive, la Fédération des services sociaux, qui fédère et représente des services sociaux associatifs et mutuellistes en Wallonie et à Bruxelles, passe à l’action ! Elle lance un vaste recensement des structures du Non-Marchand confrontées à des licenciements. L’objectif : comprendre l’ampleur réelle de la crise. « On entend, par-ci par-là, parler de pertes d’emploi, à des moments différents et avec une intensité variable, mais sans vision d’ensemble. Et tant qu’on ne peut pas mesurer globalement ce qui se passe, on ne peut pas non plus agir collectivement », précise-t-elle.
Ce travail de recensement vise donc avant tout à rendre visibles les pertes et à en mesurer l’ampleur. Mais il s’agit aussi, pour le secteur, de se compter, de savoir combien d’associations sont touchées et de renforcer la solidarité entre elles. « L’enjeu est aussi territorial. L’idée est de croiser les données entre les zones où un grand nombre de personnes vont perdre leurs allocations de chômage et celles où des associations risquent, elles aussi, de disparaître. Cette approche permettra de dresser une cartographie fine des impacts, quartier par quartier, et de mettre en lumière les territoires les plus fragilisés. »
En parallèle, la FdSS lance également une campagne d’affichage symbolique sur les façades et vitrines d’associations. Inspirée du mouvement « Liquidation sociale – fermeture définitive » initié par Move Molenbeek, elle invite les structures à afficher publiquement leur fragilité pour rendre visibles les conséquences invisibilisées de l’immobilisme politique. Une manière de donner un visage aux chiffres, d’incarner la crise et de rappeler que, derrière chaque fermeture potentielle, il y a des travailleurs, des bénéficiaires, et des services essentiels à la vie sociale bruxelloise.
« Ne touchez pas aux budgets du social et de la santé ! »
Et pendant ce temps-là, le secteur continue de s’accrocher, mais au prix d’un engagement humain de plus en plus difficile à soutenir. « Les associations bruxelloises tiennent pour les gens », observe Céline Nieuwenhuys. « Cela fait des années que des secteurs très peu financés, comme ceux qui distribuent des colis alimentaires, voudraient tout arrêter pour dire au gouvernement : regardez la précarité dans nos rues. Mais ces structures n’y arrivent pas, parce qu’elles sont là pour les gens, et que les gens sont à la porte. Difficile, dans un tel contexte, de penser à soi ou à la sécurité de son emploi quand on voit ce qui se prépare à Bruxelles. Aux portes des services sociaux, les files s’allongent déjà et les visages traduisent l’inquiétude. Les associations, elles, restent présentes pour accueillir ces peurs et tenter d’y répondre, malgré leur propre fragilité. »
Mais pour le secteur, l’urgence n’est plus seulement de tenir : il s’agit aussi de se faire entendre. Le message adressé aux responsables politiques par la FdSS est clair : alors que Bruxelles s’apprête à traverser une période sociale extrêmement tendue, le minimum serait de ne pas toucher aux budgets du social et de la santé. C’est, pour le secteur, la condition essentielle pour tenir le cap dans les mois à venir. « Notre autre message : si des associations ferment aujourd’hui, c'est parce que cela fait des années qu'on finance les associations avec des subsides facultatifs, et que ces derniers ne tiennent pas la rampe dès qu'il y a une crise ! »
Un secteur capable d’inventer, d’agir et de se réinventer, à condition qu’on cesse de l’épuiser
Et demain ? Céline Nieuwenhuys reste convaincue du rôle essentiel du secteur associatif dans un monde en mutation constante, traversé par des crises sociales, sanitaires, environnementales et démocratiques. Pour elle, l’associatif demeure un levier irremplaçable pour y répondre, à condition qu’il puisse continuer à s’autoriser cette créativité et cette liberté d’action qui font sa force.
« Pour que cette créativité puisse s’exprimer, encore faut-il offrir au secteur des financements stables. Les associations ne devraient pas passer l’essentiel de leur temps à courir après de l’argent », conclut-elle. « Notre métier, ce n’est pas cela ! Notre mission première, c’est d’être présent sur le terrain, au plus près des gens, pour répondre aux diverses crises que traverse Bruxelles. Pour innover, il faut pouvoir expérimenter, parfois se tromper, recommencer. Et ce n’est possible que dans un contexte sécurisé, à la hauteur de la résilience et de la robustesse dont l’associatif fait preuve depuis tant d’années. »
Emilie Vleminckx,
Rédactrice en chef
Recensement et campagne d’affichage : les infos pratiques
Pour prendre part au recensement lancé par la FDSS — ouvert à toutes les ASBL bruxelloises, quelle que soit leur taille ou leur secteur — il suffit de remplir ce formulaire en ligne. Le questionnaire est court (environ 3 minutes) et peut être complété jusqu’au 31 octobre.
Pour participer à l’action symbolique d’affichage, la FDSS met à disposition une affiche-type à compléter, inspirée du slogan « Liquidation sociale – fermeture définitive ». Elle peut être apposée sur vos façades, vitrines ou dans tout espace fréquenté, afin de rendre visibles les conséquences de la crise actuelle. Télécharger les affiches-type ici.