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FINANCEMENT 7 juin 2021

"En trois ans de vie de l’ASBL, je n’ai jamais réussi à dégager un salaire"

À l’origine d’un projet associatif, des responsables d’ASBL ne parviennent pas à obtenir des financements pour se rémunérer. Un véritable combat à mener... Entre la volonté d’aller de l’avant et le désarroi de ne pas être reconnu pour son action. Témoignages.

Son premier salaire, Christine Dufour, fondatrice de l’ASBL On souffle dans ton dos qui agit pour l’inclusion des enfants porteurs de handicaps, a pu se le verser en juillet 2019. Trois ans après la création de son ASBL. « J’ai tenu car je suis touchée de près par le handicap avec ma fille. C’est grâce à elle que je me bats, c’est devenu un combat et je ne voulais absolument pas que ça s’arrête ».

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Comme elle, de nombreuses et nombreux responsables d’ASBL créent et gèrent des projets associatifs totalement bénévolement. « Depuis que l’ASBL existe officiellement, en 2018, je n’ai jamais réussi à dégager un salaire », témoigne à son tour Miriam Ben Jattou, présidente de l’association Femmes de droit, une ASBL de soutien aux droits des femmes.

« On fait le boulot de l’Etat et on n’est pas rémunérées pour ça »

Avant de créer son ASBL, Miriam Ben Jattou a suivi une formation avec le Crédal, pour mettre en place le projet. Elle pensait qu’elle pourrait rapidement compter sur les subsides et les consultances juridiques. « Mais les femmes qui viennent chez nous n’ont pas de moyens. L’an passé on a facturé 2.000€. Et comme nous faisons des missions qui devraient être réalisées par l’Etat, je pensais que ce ne serait pas si difficile d’obtenir des subsides. J’ai été très naïve ».

L’ASBL a par ailleurs récemment publié une carte blanche pour dénoncer le désengagement des pouvoirs publics. « Si on ne fait pas notre mission, personne ne le fait. On n’est pas en train de demander de payer notre passion qui consiste à broder des cœurs devant la télé. On demande d’être payées pour faire des choses que l’Etat devrait faire ».

Un constat que partage Christine Dufour. « Il y a eu beaucoup de changements au niveau de l’inclusion avec le Pacte d’Excellence. L’Etat a supprimé des aides donc les familles se tournent vers nous. On croule sous les demandes et l’Etat ne nous subsidie pas pour pallier leur absence ».

« Je me suis sentie complètement incompétente »

Cette course aux subsides pour espérer se payer un salaire n’est pas sans conséquence sur le moral des responsables d’ASBL. « Ces derniers mois je me suis sentie extrêmement incompétente », confie Miriam Ben Jattou. « J’entends bien les collègues, les stagiaires qui disent que ce qu’on fait c’est essentiel mais je me suis rendu compte que ces derniers mois on a fait que demander des sous aux politiques. Parfois, des gens appellent pour demander de l’aide et je dois répondre que je n’ai pas le temps. Mais pourquoi ? Pour remplir des appels à projets. Ça me rend malheureuse ».

Face à de multiples refus de la part des cabinets, Christine Dufour a pensé à tout arrêter. « À l’époque j’étais mère au foyer mais je n’avais même plus le temps pour mes enfants et je n’avais pas de reconnaissance financière de l’Etat pour ce que je faisais. J’étais épuisée ». Finalement, en 2019, l’ASBL On souffle dans ton dos a réussi à obtenir un subside du service PHARE en Région bruxelloise et un autre du ministère de l’enseignement, grâce auxquels elle a pu se payer un temps plein et une ergothérapeute à mi-temps. Cette dernière subvention, elle l’a reçue grâce à l’intervention du père d’un enfant accompagné par l’ASBL. « Avant ça on ne m’avait jamais répondu », raconte-t-elle.

Toutefois, le subside du cabinet de Caroline Désir est facultatif. « J’ai renvoyé le dossier en janvier et je n’ai toujours pas de réponse. Je ne sais pas si ça va être accepté ».

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Avoir un plan B

En attendant le verdict, l’ASBL tient grâce à « un petit bas de laine. Toutes les familles qu’on aide paient une contribution par mois de 40€ et ça fait 5 ans qu’on les accumule ». L’association a également reçu une promesse de don de 26.000€ de Caritas. « Si la réponse du cabinet est négative ce sera notre plan B. Mais c’est triste parce qu’on pourrait l’utiliser pour autre chose ».

Miriam Ben Jattou quant à elle est actuellement en arrêt maladie et envisage de reprendre son travail prochainement. Toutefois, si elle souhaite poursuivre son activité avec Femmes de droit, elle assure qu’il faut que les lignes bougent. « Avant, je cumulais un temps plein de 38h et 40h par semaine en plus pour l’ASBL. Je ne suis plus capable de faire ça. Mais si je ne fais plus que quelques heures par mois, l’essence même de notre mission est amené à disparaitre car l’accompagnement prend du temps ».

Depuis sa carte blanche, l’ASBL a été contactée par le cabinet Morreale pour proposer de déposer une demande de subvention. « Je ne sais pas si ça va marcher. Mais au moins, cette fois-ci, c’e sont eux qui nous ont contactées ».

Caroline Bordecq