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RESSOURCES HUMAINES 29 octobre 2019

"Des responsables d’ASBL font des burn-out !"

La violence administrative est la nouvelle forme de violence qui touche de plein fouet les associations du secteur non-marchand. Nous sommes soumis à un stress continu… Face à cette situation invivable, certains responsables d’asbl tombent en burn-out !

Ouvrir un email où l’objet indique « audit » avec la boule au ventre ou le cœur qui s’accélère.

Ne pas trouver le sommeil car on ne sait pas comment on va payer les salarié.e.s à la fin du mois : vous n’avez toujours pas reçu le solde de projets clôturés depuis plus d’un an et il reste 2000 euros sur le compte.

Terminer l’année sans pouvoir dire à certains membres de votre équipe si leur contrat sera renouvelé l’année prochaine car vous n’avez toujours reçu la réponse de l’appel à projets sensé démarrer au 1er janvier.

Travailler systématiquement tous les soirs après les heures de bureau et le weekend pour répondre à toutes les exigences administratives demandées par chaque bailleur.

Voir votre public cible pleurer parce que l’activité s’arrête faute de subsides structurels...

La liste de ces violences administratives n’est pas exhaustive mais elle témoigne du stress continu auquel sont soumis les responsables d’asbl du secteur non-marchand

Se battre chaque année pour maintenir ses activités

Je suis la directrice de l’asbl GAMS Belgique, qui lutte contre les mutilations génitales féminines depuis 1996. Je dois à la fois gérer les ressources humaines, chercher des fonds pour assurer la continuité des activités et le maintien des équipes d’une année sur l’autre, répondre aux questions d’expertise, donner des formations, coordonner les projets européens et nationaux, etc…

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Nous travaillons auprès de femmes précarisées, fragilisées, ayant été victimes de violences (excision, mariage forcé, violences sexuelles…). Malgré 23 ans d’existence et une reconnaissance nationale et internationale, le GAMS ne bénéficie toujours pas de financements structurels et doit se battre chaque année pour maintenir ses activités à flot.

Nous appartenons à la CP332 résiduelle… c’est-à-dire sans aucun avantage : pas de package social (notre transport domicile-travail n’est même pas remboursé intégralement), pas de chèque-repas, pas d’assurance santé, pas de treizième mois, de retraite complémentaire, … Nous ne pouvons même pas prétendre au soutien gratuit de l’ABBET pour la prévention des risques psycho-sociaux et bien-être au travail car nous ne sommes pas dans les bonnes catégories (soins ambulatoires ou cohésion sociale). Nous avons dû dépenser plus de 3.000 euros pour faire une analyse des risques psychosociaux par Mensura, sans pouvoir mettre en application notre plan par manque de moyens, alors que le personnel fait les frais des diminutions de budget et est la variable d’ajustement en cas d’arrêt de subsides (arrêt de contrat ou temps partiel forcé). Même le poste de direction est à temps partiel faute de moyens.

On se trompe de cible !

L’Etat belge passe des jours pour auditer des petites asbl pour récupérer quelques centaines d’euros alors que plus de 200 milliards d’euros échappent à la Belgique via les paradis fiscaux.

Le travail est lourd mais nous savons pourquoi nous sommes là et restons passionnés par notre travail. Ce qui est particulièrement violent et le plus dur à vivre depuis 2018 et ça continue en 2019, ce sont les contrôles à n’en plus finir des bailleurs en particulier sur les budgets européens qui sont gérés par la Belgique (projet FER et AMIF) : dossiers clôturés réouverts, contrôles pièce par pièce, contrôles du public cible, etc…

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Nous avons en ce moment, trois procédures d’audit sur des projets fédéraux où on nous épluche chaque ticket de métro : pour un ticket à 2,10 il faut prouver que la bénéficiaire a bien une annexe 26 de moins de 6 mois et qu’elle a bien signé la liste de présence et qu’on ait une preuve que l’activité a bien eu lieu. Le temps pour compiler toutes ces informations est supérieure en termes d’équivalence de salaire que le prix du ticket de métro. Ce n’est pas efficient… Et je pense honnêtement que le gouvernement se trompe de cible.

Le GAMS est félicité pour son travail, on est invité dans des conférences internationales, quand il y a les rapports du GREVIO ou du CEDAW on nous appelle pour savoir ce qu’on a fait…

Nos guides et nos campagnes sont notés comme une réalisation de l’Etat belge… et puis une fois que les rapports sont finis, que les caméras sont parties… alors on revient à la charge, pour chercher la faille et récupérer de l’argent peu importe le résultat, même si on a dépassé les objectifs. Lors du dernier audit, j’ai dû répondre à plus de 200 questions pour des montants qui parfois ne dépassaient pas 10 euros (frais de transport). J’ai passé des nuits blanches à répondre à chaque question. Est-ce normal qu’on s’en prenne à nous, petites asbl du secteur non-marchand alors que les entreprises belges ont envoyé en 2018, 206 milliards d’euros vers des paradis fiscaux ? N’est-ce pas dans ces grosses entreprises qu’on devrait envoyer les inspecteurs des finances, ce serait plus efficient en termes de retour sur investissement !

Évaluation des projets : changer de paradigme

Les personnes qui contrôlent nos factures ne s’occupent pas de l’opérationnel, nous rêverions d’avoir du feedback sur notre rapport d’activités comme on en a sur nos factures. Mais non, les seules remarques portent sur le rapport financier, jamais rien sur le rapport d’activités (on devrait faire un jour un pari et mettre une phrase complètement hors-sujet au milieu du rapport d’activités pour faire le test et voir s’il est lu).

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Nous réclamons un changement de paradigme : lisez nos rapports d’activités, débattez avec nous des approches et des stratégies, prévoyez des évaluations sur le fond, faites des visites de terrain, ce serait beaucoup plus efficace que de passer des heures à contrôler des tickets de métro…

Prévenir les burn-out chez les responsables d’asbl

Si j’écris cette carte blanche, c’est que je connais plusieurs responsables d’asbl qui ont fait un burn-out, et deux d’entre elles l’ont été suite à des audits particulièrement durs… Quand on se donne déjà à 200%, qu’on n’a déjà pas assez de temps pour toutes les taches de sa fonction, qu’on sait qu’on ne pourra jamais récupérer toutes les heures sup et que la demande d’audit arrive c’est juste la goutte qui fait déborder le vase…

Je lance un SOS pour un financement structurel du secteur non-marchand car les approches des projets entrainent une charge administrative énorme et une précarisation du personnel qui ne sait pas d’une année sur l’autre s’il y aura le budget nécessaire pour prolonger son poste.

Non à la précarisation du secteur non-marchand !

Fabienne Richard

Directrice de l’asbl GAMS Belgique

Source : Le Guide Social