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VIE ASSOCIATIVE 26 juin 2020

À l’heure de la reprise, les « petits » lieux culturels donnent de la voix

Ce 1er juillet, les ASBL culturelles pourront de nouveau organiser des activités et des spectacles en présence du public. Pour certaines associations exclues du fonds d'urgence COVID, prévu par la Fédération Wallonie-Bruxelles, la reprise a été possible grâce à leurs fonds propres ou d’autres aides de la région bruxelloise. Epuisées du manque de reconnaissance, elles ont décidé de se faire entendre.

« La question c’est de savoir comment le public va réagir avec les masques ? Chez nous la distanciation n’est pas possible. Est-ce qu’on va réussir à préserver la convivialité ? » Ces questions, Cathy Thomas, directrice artistique du théâtre Le Fou Rire, n’est pas la seule à se les poser. A quelques jours de la reprise des activités avec le public, les ASBL culturelles doivent jongler entre la joie de retrouver les spectateurs et le respect des règles sanitaires.

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« Je me suis arrangée pour réorienter certains spectacles et ne prendre que des solos pour le moment. On a aussi diminué la jauge, normalement on a une jauge de 200 places et je l’ai arrêtée à 80. On sait qu’on ne va pas gagner d’argent pour le premier spectacle, confie Cathy Thomas. Le choix était vite fait : on tient aux spectateurs, on tient à notre équipe et on ne voulait pas prendre de risque. La santé avant tout ».

Du côté de l’Os à Moelle, on reste aussi prudent : « J’ai juste programmé deux dates et j’attends de faire la première pour confirmer les autres », explique Samuel Bernard, directeur artistique. Et de continuer : « Je ne m’inquiète pas mais je veux voir comment ça se passe pour comprendre ce qu’on peut organiser ».

« C’est un risque financier »

Pour cette réouverture, le directeur a dû réfléchir à la meilleure des configurations : « Soit on remplit la salle à fond avec 110 personnes et seulement des chaises, soit avec également des tables et donc entre 60 et 80 personnes ». Dans le premier scénario, le public devait porter un masque. « J’ai donc choisi de le faire avec des tables ».

Mais qui dit moins de spectateurs dit moins de rentrées financières. « Les activités vont reprendre et les coûts aussi mais avec une jauge réduite donc sans la même rentabilité. C’est un risque financier ».

Pour relancer la saison, le cabaret a pu compter sur une prime de 2.000€ de la région bruxelloise, sur le solde d’un subside de 2019 de la Cocof et « un peu d’argent de côté ».

De son côté le théâtre du Fou Rire a récolté près de 17.000€ grâce à une campagne de crowdfunding. Cet argent a permis à l’ASBL de payer les frais fixes comme le loyer, les assurances… mais aussi les droits d’auteur des artistes. Le solde d’un subside de 2019 de la région bruxelloise va également aider l’ASBL à repartir dès le 4 juillet.

Quant aux associés de l’ASBL Tobiarts Productions, ils ont dû sortir l’argent de leur poche pour couvrir les frais fixes qui s’élèvent à près de 650€ par mois. Pour ce qui est de la reprise des activités, « on est en train de mettre en place un projet de théâtre drive-in, avec au centre une grande scène, autour les voitures et tout est transmis en bande FM. Là on est en attente des subsides de la Ville de Bruxelles pour pouvoir lancer le projet ».

« On a sans cesse des bâtons dans les roues »

Pour ces trois ASBL, la crise sanitaire a mis en lumière un problème qui existait déjà bien avant : le manque de considération des petits lieux culturels. « Ça ne date pas de la crise sanitaire mais là on a zoomé, on a mis une loupe là-dessus », estime Damien Locqueneux, co-directeur de Tobiarts Productions.

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La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est la prime COVID adressée au secteur culturel par la Fédération Wallonie-Bruxelles. L’Os à Moelle, Tobiarts Productions, le théâtre du Four Rire et une trentaine d'autres structures ont été exclues de cette aide. La raison : la prime est réservée aux opérateurs qui sont déjà subsidiés par la FWB.

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« On a sans cesse des bâtons dans les roues parce qu’on pense qu’on n’est pas une priorité et que de toutes façons on va quand même se démerder », poursuit Damien Locqueneux. Il évoque notamment le cas des mesures sociales pour la Culture qui devaient être approuvées le 18 juin à la Chambre avant d’être bloquées par un front flamand (N-VA, Open VLD, Vlaams Belang et CD&V) qui a obtenu le renvoi devant le Conseil d’Etat sans urgence. Finalement, ce mercredi 24 juin un consensus s’est dégagé en Conseil des présidents et la proposition de loi devrait être votée en séance plénière le 9 juillet prochain.

« Une politique incomplète et maladroite »

« Avant la crise, je n’avais pas cette clarté pour comprendre pourquoi ça ne fonctionnait pas. Pourquoi on n’était pas subsidiés. Maintenant j’ai arrêté de penser que c’était nous le problème », explique Samuel Bernard. Pour le directeur artistique, la raison c’est que les politiques ne prennent pas en compte la complexité du secteur.

« Il y a beaucoup de réalités de terrain, je le comprends mais les politiques doivent s’entourer de tous ces acteurs de terrain et pas seulement d’un directeur de théâtre », continue Damien Locqueneux.

Cathy Thomas, directrice artistique du théâtre Le Fou Rire, abonde dans le même sens : « Ça reste une politique incomplète et maladroite ». Juste avant la quarantaine, elle et d’autres partenaires devaient se rencontrer pour mettre en place une fédération de « petits lieux ». Mais la rencontre a été annulée à cause du COVID. Selon elle, cette fédération lui aurait permis d’avoir plus de poids. De se faire entendre. « C’est ce qui nous a manqué pour faire partie de la commission et expliquer qui on est ».

Ces difficultés rencontrées par « les ASBL ou les structures qui ne sont pas structurellement soutenues », Benoit Litt, directeur administratif de l’Espace Catastrophe, les déplore. « Ces ASBL et les artistes sont vraiment les plus à plaindre ».  Il évoque la mise en place de l’opération solidaire « Feed The Culture », dont le but est de distribuer des colis alimentaires aux travailleurs culturels. « C’est incroyable qu’on arrive à une situation où des travailleurs culturels n’arrivent plus à remplir leur frigo », s’insurge-t-il.

Le centre culturel Espace catastrophe a un contrat-programme avec la Fédération Wallonie-Bruxelles en arts de la scène, « avec une dotation qui arrive chaque année », explique Benoit Litt. C’est pour cette raison que l’ASBL a décidé d’introduire une demande au fonds d’urgence seulement pour couvrir les conséquences de l’annulation du Festival UP ! qui devait normalement se tenir au mois de mars. « Nous avons estimé que nos autres activités sont déjà couvertes par les subventions, et que l’aide pour festival était la chose qui reviendrait directement aux artistes ».

Alors que les ASBL s’apprêtent donc à retrouver leur public, elles sont plus que déterminées à se faire entendre. « On veut faire du boucan pour que la ministre finisse par nous inviter à discuter ». Au bout du fil, Samuel Bernard parle d’un « double combat » : recevoir une aide maintenant et « pour le futur, qu’on crée des cases dans lesquels nous insérer ». Et de conclure : « Ce n’est pas à nous de nous adapter pour entrer dans les cases. Non, c’est l’inverse ! »

Caroline Bordecq