Elles sont plus de 5.000 tous secteurs d'activités confondus, totalisant quelque 105.000 travailleurs à l'œuvre sur le territoire bruxellois. Santé mentale, crise du crack, insécurité, pauvreté, accueil des réfugiés… elles opèrent tous azimuts alors que les besoins de la population s'intensifient. Après plus de 500 jours sans gouvernement de plein exercice, ces associations, "maillon invisible du tissu social", traversent une période d'incertitude budgétaire aigüe, mettant en péril leur survie. À l'unisson, elles dénoncent une paralysie politique jugée irresponsable.
"Sans gouvernance et sans budget, c'est tout le tissu associatif qui s'effiloche", alerte Emilie Vinçotte, co-directrice de l'Agence pour le Non-Marchand, qui chapeaute le Guide Social et MonASBL.be, deux plateformes
de référence dont l’objectif est de favoriser le développement des acteurs du psycho-médico-social et de l’associatif. "La plus grande préoccupation, c'est le manque de perspective. On n'a aucune vue sur les financements à long terme, ce qui a de grosses conséquences au niveau des ressources humaines", explique-t-elle.
C'est notamment le cas au sein de l'association environnementale Apis Bruoc Sella dont le subside quinquennal se termine début 2026 et qui est contrainte de réduire la voilure. Plusieurs missions sont ainsi suspendues tandis que certains contrats à durée déterminée ne sont pas prolongés.
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Un secteur entre incertitude et fuite des talents
L'association Projet Lama, qui offre un accompagnement aux personnes en situation de précarité et d'addiction, pâtit également de ce blocage institutionnel. Son dispositif d'aide socio-sanitaire "Cover" est mis en péril faute de vision claire pour l'avenir.
"Vingt-trois personnes travaillent dans des équipes mobiles actuellement. Elles interviennent en rue, dans des squats, en hébergement d'urgence… Elles vont là où se trouvent les personnes les plus vulnérables", explique Rémi Dekoninck, le coordinateur. "Ces 23 personnes sont dans l'incertitude la plus complète. Il s'agit de jeunes travailleurs qui sont pour la plupart dans des projets de vie et dans de telles circonstances, c'est difficile de se projeter. Beaucoup envisagent d'ailleurs de quitter le milieu car ils veulent plus de stabilité", poursuit-il.
Le travailleur social craint dès lors que le secteur ne subisse une fuite des talents, avec en prime une perte de connaissance précieuses sur les méthodologies de travail, parfois bien spécifiques.
Au sein de l'Agence pour le Non-Marchand, on redoute également un tel scénario. "Il y a une résilience et une créativité qui sont toujours là dans le milieu, mais ça ne va pas durer. Tout est gelé à présent, plus personne ne veut s'engager. Le secteur, trop précaire et incertain, est en train de perdre ses talents et ses cerveaux alors que depuis des années, il avait la cote auprès de citoyens, en recherche de sens, qui souhaitaient s'engager que ce soit environnementalement ou socialement", observe Emilie Vinçotte."L'incertitude fait fuir les talents dans un secteur déjà en proie à un manque de main d'oeuvre", regrette pour sa part Bruno Gérard, le directeur de Bruxeo, la confédération représentative des entreprises à profit social bruxelloises.
"Les premières associations impactées, ce sont les plus petites… Celles qui créent justement ces maillons invisibles du tissu social", ponctue Yahyâ Hachem Samii, directeur de la Ligue bruxelloise pour la Santé mentale, faisant référence à l'Espace 51, un lieu de lien menacé de fermeture. "Ce genre de structures sont tenues par des gens qui ne maitrisent pas les arcanes administratifs et sont donc les premières délaissées. Or, en matière de santé mentale, ces associations font dès le départ un travail de déstigmatisation. Si des projets comme ça ferment, il va falloir tout recommencer une fois qu'on aura un gouvernement de plein exercice. Une fois qu'on aura abimé la confiance des citoyens", déplore-t-il.
"Si on devait disparaître, c'est un service essentiel à la population qui s'éteint", illustre le coordinateur de Cover. "On est une des seules équipes médicalisées à Bruxelles à intervenir auprès des personnes vivant sous les radars, pour le bien-être de la population bruxelloise générale", poursuit-il. "Mais les équipes mobiles ne bénéficient pas de subsides pérennisés et l'absence de gouvernement donne encore plus d'incertitude, malgré l'efficacité démontrée de notre projet", soutient-il.
Ce blocage institutionnel génère "une cascade de problèmes à plusieurs niveaux"
De son côté, la Maison des parents solos, un centre d'aide aux personnes spécialisé dans l'accompagnement des familles monoparentales situé à Forest, a été contrainte cet été de mettre fin à ses permanences juridiques gratuites.
Ce blocage institutionnel génère "une cascade de problèmes à plusieurs niveaux", pointe Benjamin Brooke, le directeur de Doucheflux, une ASBL qui propose un accompagnement aux personnes sans-chez-soi.
"Le premier enjeu que cette crise soulève, c'est que l'associatif se débrouille depuis trop longtemps avec des bouts de ficelle, alors que la situation à Bruxelles ne fait que se dégrader d'un point de vue sanitaire et social. Et les réformes de l'Arizona risquent d'aggraver encore plus la situation", relève le directeur de la Ligue bruxelloise pour la Santé mentale.
"Face à la crise politique, l'associatif se sent coincé. D'un côté, on veut un gouvernement régional mais d'un autre, on ne veut pas d'un gouvernement avec n'importe quelle vision. Si c'est pour se lancer dans une politique qui renforce l'exclusion de toute une partie de la population, alors on n'est pas partants. Ce qui est inquiétant, c'est la difficulté croissante de nos politiques à boucler des compromis acceptables. La Belgique n'est pas épargnée par des mouvements de radicalisation de tous bords, de division et de polarisation", souligne Yahyâ Hachem Samii.
Si les domaines d'activités diffèrent, le cri d'alarme lancé par le secteur associatif est unanime : il est temps que les élus prennent leurs responsabilités. "On a l'impression d'être rongé, (de vivre) à la petite semaine", témoigne Bruno Gérard, le directeur de Bruxeo. "On n'est pas pour de nouvelles élections. Il faut que les élus prennent leurs responsabilités et trouvent un consensus. La classe politique est responsable alors que les besoins de la population sont énormes", affirme-t-il.
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Des subsides à la diète
La confédération Bruxeo a dernièrement organisé deux séminaires rassemblant une soixantaine d'ASBL afin de les aiguiller dans les démarches à mettre en place lorsque les subsides ne suivent plus (crédit-pont, réduction du temps de travail, chômage temporaire, réduction de personnel…). Car en l'absence de nouveau gouvernement, les ASBL vivent toujours sur le budget initial de 2024 en crédits provisoires. Autrement dit, il s'agit d'un budget non indexé.
Et malgré les affaires courantes, le gouvernement a tout de même décidé de rogner dans les subsides régionaux dit facultatifs (c'est-à-dire des subsides qui ne sont pas gérés par des ordonnances, NDLR), invoquant une règle de prudence budgétaire. Le budget total de ces subventions a été réduit de 15 %. "C'est inquiétant de réduire ainsi la voilure pour des subsides qui permettent de répondre à des besoins structurels", a commenté Bruno Gérard.
Le message est lancé telle une bouteille à la mer face à une impasse politique qui s'éternise.
Belga
 
        