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VIE ASSOCIATIVE 6 novembre 2020

Les ASBL face au Covid : "Contrebalancer la lourdeur et la morosité de l’épidémie"

Manque de financement, public restreint, communication et convivialité mises à mal... Le coronavirus ne facilite pas la vie des ASBL. Entre les mesures et les protocoles, les associations s’adaptent non sans parfois une dose d’originalité pour poursuivre leurs activités. Nouvelle ASBL à être interviewée dans le cadre de cette série "Les ASBL face au Covid" : Empathiclown, association culturelle mais aussi psycho-sociale.

Notre série "Les ASBL face au Covid" :

Depuis 2010, Empathiclown met l’humour au service du social. Tout au long de l’année, Denis Bernard, responsable de l’association, organise des rencontres avec des personnes âgées, des personnes atteintes de démence, des sans-abris ou des enfants polyhandicapés. En se fondant uniquement sur le caractère et l’humeur de leur spectateur du jour, les clowns de l’ASBL improvisent et entrent dans le jeu. L’objectif ? Apporter de la légèreté, même dans les périodes difficiles.  

“Garder le sourire, même dans la difficulté” 

MonASBL : La crise sanitaire impacte de nombreuses activités associatives. Rencontrez-vous des difficultés particulières ?  

Denis Bernard : La grande difficulté est que notre travail se fait avec des personnes que l’on approche de très près. Il y a beaucoup de contacts physiques : on a besoin de sentir comment elles vont. Quand le gouvernement a commencé à parler de distanciation sociale, c’est donc devenu compliqué. Mais dès qu’il y a eu un manque de personnel au mois d’avril, principalement dans les maisons de repos, on a proposé notre aide. On voulait donner un coup de main en civil, en bénévole, pour porter les malades, les nourrir ou les aider. Mais le directeur nous a répondu : “Non, revenez en clown ! On a besoin de votre décalage, de votre bonne humeur, de votre musique ! On a besoin d’un soin qui soit autre que le soin médical qu’apportent déjà les infirmières.”.  

MonASBL : Vous avez-donc repris vos activités dès avril, pendant le confinement... 

Denis Bernard : Oui, on a pu continuer en avril. On a aussi repris dans les écoles (avec des enfants plus handicapés), mais seulement partiellement. On ne se rendait que dans les garderies le temps de l’enseignement spécialisé. Avec les élèves, on a quand même pu retourner dans la rue. Pour eux, le Covid est un problème parmi d’autres. Ils étaient donc très contents de retrouver l’extérieur et qu’on parle aussi d’autre chose. En tant que porteur de liberté, on pouvait contrebalancer un peu la lourdeur et la morosité de l’épidémie

MonASBL : Est-ce qu’un clown garde toujours le sourire, même en cette période difficile ?  

Denis Bernard : Oui, bien sûr ! Dès qu’on donnait quelque chose de positif, on recevait en retour. C’est comme ça dans notre travail en général, même en dehors de cette période difficile. La rencontre avec ces personnes est toujours un peu aléatoire et complexe... On est toujours sur la corde. On est donc habitué à cette fragilité. Mais on veut garder ce sourire, même dans la difficulté. 

MonASBL : C’est un peu un cercle vertueux au quotidien... 

Denis Bernard : Lorsque l’on retourne dans ces services où il y a beaucoup de lourdeur, on peut apporter quelque chose de différent. C’est alors une autre contagion qui vient. C’est vraiment très agréable de sentir qu’on apporte de la légèreté et de la bonne humeur à chaque endroit où l’on passe.  

Lire aussi : Les défis des ASBL à l’ère COVID : entre adaptations et opportunités

S’adapter aux mesures : “La distance devient le jeu” 

MonASBL : Vos projets sont majoritairement tournés vers le public, et dépendent des demandes. Comment cela vous a-t-il impacté ces derniers mois ?  

Denis Bernard : Le mot d’ordre de la période est de rencontrer le moins de personnes possible. Au printemps, les grands rassemblements étaient aussi interdits. Malgré tout, notre démarche convenait donc assez bien puisqu’on travaille sous forme de rencontres individuelles. L’été, on a également un projet annuel d’intervention dans des villages. Le clown se balade : il ne fait pas un spectacle, il rencontre un habitant ou l’autre, au coin d’une rue ou dans son jardin. Cet été, un bourgmestre nous a dit : “Ah c’est chouette ! Les gens ne peuvent plus se rassembler ni aller aux spectacles, mais la culture vient à eux !”.  

MonASBL : Le masque et la distanciation doivent constituer des difficultés en plus...  

Denis Bernard : Oui, on est limité avec les expressions du visage. Mais les yeux sont un élément fort et important. Cela nous oblige à retravailler beaucoup de choses. On limite les contacts avec les gens, on utilise un accessoire. Par exemple cet été, on utilisait parfois un chevalet, parfois accordéon ou même des skis... La distanciation est aussi devenue le jeu. 

 MonASBL : Avec le deuxième confinement, devez-vous faire une nouvelle pause ?  

Denis Bernard : On attend, mais on espère pouvoir retourner en maison de repos. C’est primordial. Normalement, le personnel nous fait confiance concernant notre relation à l’hygiène et à la distance. On peut aussi continuer à rencontrer les SDF dans la rue puisqu’avec eux, on peut garder la distance. Avec l’hiver qui arrive, c’’est aussi très important de conserver les contacts de ce type. On essaye donc de maintenir ce qui peut être maintenu.  

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Clowns en télétravail : “L’écran leur donne un autre pouvoir” 

MonASBL : Certains cliniclowns font du télétravail et des interventions à distance. C’est votre cas ?  

Denis Bernard : Oui ! On travaille avec une autre association à l’hôpital des enfants. On a fait des Zoom au cours de ces derniers mois. Mais il faut toujours qu’il y ait un encadrement. On a donc de la chance qu’il y ait des éducateurs dans ces services. Ils doivent eux-mêmes organiser la rencontre pour les enfants hospitalisés. Derrière l’écran, il y a donc au moins un parent ou un éducateur qui s’occupe de faire le lien.  

MonASBL : L’adaptation ne doit pas être simple...  

Denis Bernard : C’est un peu compliqué. Quand on est dans une chambre d’hôpital, on regarde s’il y a des parents, s’il y a des éducateurs ou des infirmières. Mais là, on ne voit que l’enfant de très près. On ne connaît pas du tout l’ambiance générale. Ce n’est donc pas facile de capter ce qui se passe dans la pièce. Mais les enfants aiment bien s’amuser avec ce cadre. Par exemple, ils aiment beaucoup jouer aux apparitions. L’écran leur donne un autre pouvoir. Ils nous voient plus gros, et sont plus concentrés sur ce que les clowns leur proposent.  

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Financement : écrire un livre pour diversifier les sources

MonASBL : La crise vous impacte-t-elle financièrement ? 

Denis Bernard : On n'a pas de problème de trésorerie mais plutôt de gestion de subsides. On a reçu des subventions en 2020, mais ce n’est pas évident de les dépenser. C’est ce qui est difficile. On essaye actuellement de négocier avec les pouvoirs subsidiants pour voir ce que l’on peut faire pour plus tard. On n’a pas pu se permettre d’engager des clowns pour des prestations qui n’ont pas eu lieu. Ils sont donc restés au chômage, et l’argent est resté là.  

MonASBL : Vous avez pu bénéficier d’aides supplémentaires pour l’année prochaine ?  

Denis Bernard : Non, c’est compliqué. En tant qu’ASBL, on ne peut pas toucher ce qui est accordé aux petites entreprises de la Région wallonne, mais on n’est pas non plus considéré comme des indépendants. On n’a pas eu non plus de manque de vente ou de prestation puisque ce n’est pas notre fonctionnement. Empathiclown n’a donc pas eu de compensation. Les travailleurs sont davantage au chômage. Malgré tout, on a un statut particulier : celui d’intermittent du spectacle.  Il nous permet d’avoir moins de difficultés à maintenir certains droits. La vie reste donc possible : les gens survivent comme ça.  

MonASBL : Pensez-vous à diversifier vos financements ? Il existe par exemple le crowdfunding... 

Denis Bernard : Notre association existe depuis 10 ans. Depuis le début, on essaye de la faire reconnaitre pour qu’elle soit financée par la Fédération Wallonie-Bruxelles. On pourrait alors engager des travailleurs et offrir nos soins. Dans le passé, on a fait un peu de crowdfunding, mais toujours pour des petits projets. Maintenant, on cherche à avoir un financement plus régulier. Mais en tant qu’ASBL de la santé, du social et du culturel, on est toujours transféré d’un ministère à l’autre... 

MonASBL : Ils vous renvoient toujours à d’autres instances... 

Denis Bernard : Oui. Un coup c’est trop pédagogique, un coup c’est trop artistique. Mais pendant le confinement, on en a profité pour écrire un livre avec un journaliste. On espère qu’il pourra sortir avant la fin de l’année pour pouvoir raconter notre projet. Il sortira aux Éditions Weyrich. Ce sera une bonne manière de trouver des financements un peu plus solides.  

Activité essentielle : “Il faut toujours le rappeler, le revendiquer” 

MonASBL : Pensez-vous que ce soit dû à un manque de connaissance de votre travail ? 

Denis Bernard : Peut-être. D’un point de vue financier, on voit que notre activité apparait souvent comme non essentielle aux yeux des pouvoirs publics. Parfois, on reçoit de l’argent de la Communauté française, mais on sent bien que ces sous ne vont pas forcément être récurrents. En cette période, l’argent va plutôt servir à des projets liés directement à l’épidémie plutôt qu’à maintenir des initiatives comme les nôtres. Pourtant, c’est essentiel. Le travail que l’on fait au sein des maisons de repos le montre. Il est important d’y conserver une présence artistique et culturelle. Mais on a toujours besoin de le rappeler et de le revendiquer.  

MonASBL : Pour les prochains mois, avez-vous peur pour la survie d’Empathiclown ? 

Denis Bernard : Pas pour les prochains mois, mais il va falloir faire des efforts. J’espère que la sortie de ce livre pourra montrer l’importance de notre travail. Il y a quinze jours, on est aussi retourné à l’hôpital Brugmann pour accompagner des personnes qui souffrent d’AVC. On y était plus allé depuis le mois de février. On a aussi remarqué que ça faisait du bien aux soignants. Ils étaient contents de de nous voir habillés colorés et joyeux, d’entendre de la musique dans les couloirs. Ça change des blouses blanches et d’un regard centré sur le travail. On est donc sûr que le travail que l’on fait bénéficie à tous, et pas uniquement aux malades. J’espère que le livre le démontrera, et que notre travail pourra se renforcer. On espère qu’il sera un tremplin pour la suite. 

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