Changer la société dans laquelle on vit, c’est en quelques mots la raison d’être des ASBL. Pour ce faire, les associations mènent des actions de terrain, auprès des bénéficiaires, et parfois même dans les arènes politiques. Leur but : interpeller et tenter d’influencer directement celles et ceux qui ont des pouvoirs décisionnels afin de répondre aux besoins de la population. Ces activités portent parfois le nom de stratégie, de lobbying ou encore de plaidoyer politique.
« C’est une manière de faire bouger les choses »
Au moment de la création de l’ASBL bruxelloise Le Début des Haricots, il y a 16 ans, l’équipe en place voulait « avoir le moins possible à faire avec le politique », raconte Jeremy Paillet, coordinateur au sein de cette association active dans l’agriculture urbaine. « Aujourd’hui on garde un peu le côté radical mais on joue le jeu dans les arènes politiques. Je pense que c’est une manière de faire bouger les choses. Les pouvoirs publics ont des leviers puissants et pour les encourager à les lever, c’est essentiel de faire passer nos messages ».
Pour faire entendre sa voix, l’ASBL Le Début des Haricots agit sur plusieurs tableaux. Elle intervient auprès d’instances plus formelles, l’association a notamment été active au sein du Conseil participatif de la stratégie Good Food à Bruxelles, et s’implique dans des réseaux de militants qui font du plaidoyer. « On va à des manifestations, on participe à des actions... », illustre le coordinateur.
Lire aussi : Comment accueillir les politiques au sein de votre association ?
« Quelle que soit la fonction dans l’ASBL, il y a une dimension politique des missions à mener »
De son côté, l’ASBL féministe Vie Féminine va un cran plus loin. Pour elle, le travail politique s’inscrit au cœur même de ses activités en tant que mouvement d’éducation permanente, pour lesquelles elle est en partie financée. « Pour nous l’émancipation, rassembler des femmes qui décodent ensemble les discriminations, c’est déjà politique », explique Aurore Kesch, présidente de l’association.
Ainsi, pour la présidente, les activités de lobbying ou de veille politique ne se limitent pas à la présence de l’ASBL dans les instances telles que l’Aviq ou encore dans le Comité de suivi « Plan droits des femmes », en Fédération Wallonie-Bruxelles. « Quelle que soit la fonction au sein de l’ASBL, il y a une dimension politique des missions à mener », continue-t-elle.
Le lobbying politique, le parent pauvre des associations
De son côté, la Fédération des maisons médicales (FMM) bénéficie également de subsides destinés à des missions d’éducation permanente, de promotion de la santé, etc. « On peut faire un travail de représentation du secteur avec ces subventions mais les moyens ne suffisent pas », estime Fanny Dubois, secrétaire générale de le FMM. En effet, la fédération a opté pour une stratégie « d'entrisme. On essaie de mettre notre grain de sel partout ». Pour cela, le bureau politique de la FMM compte huit personnes rémunérées en plus de la secrétaire générale. Ces permanents politiques – toutes et tous issus du terrain - portent une cinquantaine de mandats dans les instances telles que l’INAMI, le conseil consultatif bruxellois des services ambulatoires, etc.
Ce travail repose aujourd’hui principalement sur les cotisations des membres. « Dans le secteur, nous avons les cotisations plus élevées mais quand on voit les retours sur investissement, les maisons médicales sont satisfaites », continue la secrétaire générale. Et de continuer : « Dans beaucoup d’associations, le lobbying politique est le parent pauvre parce qu’il n’y a pas de financement pour en faire. Pour nous, à l’inverse, c’est le parent fort. Ça a toujours était une priorité dans l’objet social de notre ASBL ».
Externaliser les activités
Pour l’ASBL Le Début des Haricots, les activités politiques - qui ne sont pas au coeur de leur métier - sont effectivement les plus difficiles à financer. « En général, il y a une tendance à subsidier des projets visibles, tangibles sur lequel le politique peut capitaliser et du coup le plaidoyer est moins finançable. On doit batailler pour rémunérer ces fonctions-là », estime Jeremy Paillet. Ainsi, quand l’ASBL demande à être rémunérée dans le cadre des consultations par les pouvoirs publics, « on peut nous répondre qu’on est déjà subsidié et qu’on peut donc le faire sur ce temps ».
Le manque de moyens s'est traduit parfois par un sentiment de grande fatigue au sein de l’équipe associative. « En 2021, quand on était dans la construction de la stratégie Good Food, on a puisé dans nos ressources. Le calendrier qu’ils proposaient était parfois difficile à suivre car on avait nos missions à côté. On a senti qu’on arrivait aux limites », raconte Jeremy Paillet.
Depuis un an, l’ASBL a externalisé ces activités politiques auprès de la Fédération des professionnel·le·s de l’Agriculture Urbaine (FédéAU) qu’elle a créée avec cinq autres acteurs du secteur. La fédération a négocié un financement avec la Région bruxelloise et une personne a pu être embauchée. Plus que pour des raisons économiques, la création de la FédéAU permet surtout de garantir une meilleure représentation. « Au début du Covid, on recevait des appels de l’administration qui voulait organiser des aides pour le secteur pour savoir ce dont on avait besoin . Le problème c'était qu'on ne pouvait pas donner une photo générale de la situation ».
Les relations avec les politiques
Au-delà des difficultés que rencontrées par les ASBL pour financer les activités de lobbying, c’est également la question des relations avec les pouvoirs publics qui peut se poser.
Lire aussi : Subsides : quels sont les droits et obligations de votre ASBL ?
Parmi les ASBL interrogées, aucune n’est liée à un parti. Du côté de l’ASBL Vie Féminine, la présidente assure que les financements publics n’ont jamais influencé leurs activités politiques. « On a déjà tenu des revendications d’amélioration qui n’allaient pas dans le sens de la couleur politique des instances qui nous subsidiaient », explique Aurore Kesch.
De son côté, la FMM – dont les financements sont régionaux - n’a jamais vu de répercussions sur ses subsides. « En revanche, les financements des maisons médicales, qui sont subventionnées par l’INAMI, ont été coupés lors de la dernière législature », se souvient Fanny Dubois. Cette réduction des subsides a entraîné des conséquences indirectes sur la fédération puisque ce sont les maisons médicales et leurs cotisations qui financent les activités politiques.
À cette époque, c’était Maggie de Block qui était ministre de la Santé. « Je pense qu’elle a coupé les financements non seulement parce qu’elle considérait que le modèle des maisons médicales n’était pas pertinent mais aussi, certainement, parce qu’elle trouvait qu’on ouvrait trop notre pensée critique dans le débat public ».
Caroline Bordecq